29/07 - APRES COVID. “ON EN A MARRE, ON CHANGE DE CAP” :
LE
CORONAVIRUS LES A FAIT CHANGER DE VIE.
FAITES LE MÉNAGE DANS VOS LOGIS ET DANS VOS VIES.

Le 21 juillet 2022, Aurianne, Christophe et
leurs trois enfants s’embarqueront dans un camion aménagé, direction l’Uruguay.
Pendant un an, ils sillonneront les routes d’Amérique du Sud pour terminer leur
périple au Mexique, avant de traverser les États-Unis pour reprendre le bateau
à Halifax, au Canada. C’est ce qu’ils ont décidé durant leurs deux mois de confinement.
Ils en ont parlé des soirées durant, à la table familiale. Ils ont pesé le pour
et le contre, ils ont lu des blogs, récolté des témoignages.
“On veut changer tout, de langue, de
culture, sortir des sentiers battus, aller vers l’inconnu. Je ne sais même pas
si on reviendra un jour en Belgique”, nous
raconte la jeune maman de 37 ans.
Peut-être qu’on s’établira ailleurs. Tout est
possible. Mais ici, en Belgique, on se sent à l’étroit.”
La jeune femme laisse passer un blanc.
Un long moment de réflexion, à l’image de ceux qu’elle a vécus pendant ces
derniers mois. “La Belgique, c’est un petit pays, avec des petits
esprits”, poursuit-elle sans ambages.
Pour Aurianne, le confinement a été un
déclencheur. Une sensation d’étouffement, une envie de grands espaces, là où
les gens ne sont pas les uns sur les autres. Pas comme en Belgique. “Ce
qui m’a marquée pendant ce confinement, c’est le manque de respect. La crise,
je l’ai trouvée plutôt bien gérée par les autorités publiques. Le problème
n’était pas là. Le problème, c’étaient les gens qui ne respectaient pas les
consignes, notamment sur les masques. Je voudrais offrir plus d’ouverture
d’esprit à mes enfants que ce qu’ils auront ici, en Europe.”
Aurianne et Christophe ne sont pas des
têtes brûlées. La jeune femme et son mari sont des pros du camping et des trips
sac à dos. Le couple avait déjà réfléchi à cette possibilité de larguer les
amarres. Un doux rêve. “Ce qui me freinait alors, c’était l’idée de se
retrouver confinés, car la vie sur la route dans un camion, c’est un peu cela.
Et puis, l’école pour les enfants aussi, comment allait-on faire ?”
Le couple a alors rangé son idée dans sa
boîte à rêves. Pour la ressortir durant ses soirées d’isolement. “On
s’est rendu compte que vivre à cinq, repliés sur nous-mêmes, cela se passait
super bien. Pareil pour l’école à la maison. C’était une de mes grosses
craintes, j’ai fait travailler les enfants deux heures tous les matins, et ça
allait très bien.” Pour ce jeune couple, le confinement a fait office
de test grandeur nature. Et de déclencheur. Puéricultrice et décoratrice
d’intérieur, Aurianne a stoppé toute activité professionnelle pendant cette
période, et ne s’y remettra pas. Comme des tas de mamans à l’arrêt, elle a
beaucoup pâtissé durant son confinement. “Pour tout le quartier
même”, rit-elle. Alors, si d’aventure le couple reprend malgré
tout pied en Belgique, Aurianne fera de son nouveau hobby son nouveau job. “J’irai
suivre une formation à l’Ifapme [un institut public de formation en Wallonie].
Physiquement, je ne suis de toute façon plus apte à reprendre mon job, j’ai
fait une triple pancréatite post-accouchement l’an dernier. Je suis
fort affaiblie.”
Un changement de vie radical donc. Mais
est-il envisageable pour tous ? La crise sanitaire a ébranlé pas mal de
certitudes, et donné des envies de nouveaux horizons à beaucoup. On a tous en
mémoire de grandes conversations sur les brusques prises de conscience, les
nombreuses réflexions sur “le monde d’après”. La mise à l’arrêt brutal de
toute activité, le silence et le calme qui s’est installé, le repli dans ses
murs, loin de toute tentation de consommation, a marqué les esprits. De là à
tout larguer pour partir vivre sur les routes, ce n’est évidemment pas à la
portée de tous. “Cela reste anecdotique, dit Michel Hansenne,
professeur à la faculté de psychologie de l’ULiège. De
tels projets naissent rarement aussi vite, ceux qui ont cette volonté de
changement avaient déjà cette réflexion bien avant.”
Aurianne le reconnaît, ce désir de
voyage, il était déjà présent en elle bien avant la crise. “La
plupart des personnes ne vont rien changer dans leur vie après le
confinement, pense le psychologue. Ou en tout cas, pas à
ce point.”
“Ce que l’on vit est très
particulier”, explique-t-il.
Il est rare d’avoir un événement identique vécu par
le monde entier. Tout le monde a été soumis à la même situation. Et c’est là
que les différences individuelles se marqueront. C’est notre propre
personnalité, et notre manière de réagir, qui vont déterminer les éventuels
changements. Pour certains, ce sera immédiat, pour d’autres cela prendra du
temps, voire cela n’arrivera pas du tout.”
Plus de vélo, moins de viande
Pour une partie de la population, le
confinement a néanmoins mené à une remise en question de certains
comportements. Certains ont abandonné la voiture pour le vélo, et s’en sont
trouvés ravis, d’autres ont découvert le sport, la lecture ou la confection du
pain, ou ont pris conscience qu’ils pouvaient très bien se passer des séances
de shopping interminables. “Cette période a en effet poussé les gens à
changer malgré eux certaines habitudes. Elle a invité à réfléchir au bien-fondé
de certains comportements”, dit le professeur.
Et de cela, il pourrait bien en rester
quelque chose.
Mathieu*, par exemple, s’est mis à
délaisser la viande. “Ç’a été comme un déclic, c’est venu comme cela,
sans y réfléchir, témoigne-t-il. Un sacrifice rédempteur, un
fond d’éducation catholique qui m’ont fait inconsciemment penser que si je
faisais ‘carême’, tout allait bien se passer ? Je ne sais pas. Mais je vais
essayer de continuer à me passer de viande. Pas de manière dogmatique, si je
suis invité à un barbecue j’en prendrai. Mais quelque chose restera de cela. Et
puis ça m’aidera à perdre du poids.”
Justine*, accro au shopping, a de son
côté décidé d’abandonner les marques à bas prix pour privilégier la qualité. “Avec
les étés caniculaires, et la crainte du réchauffement climatique, j’essayais
déjà de changer mes habitudes. J’ai commencé à boycotter les magasins style
Action, qui ramènent leurs produits bon marché par tankers géants venus d’Asie.
Mais le coronavirus a renforcé mon besoin de privilégier les commerces et
les produits locaux. Et limiter ma consommation.” Commerciale pour une
grande marque dont elle préfère taire le nom, Justine rêve aussi de revoir son
rapport au travail, et à l’argent. “J’aimerais idéalement passer à 4/5,
pour avoir plus de temps pour moi et profiter de la vie. Et pour cela, je suis
prête à subir une baisse de salaire.”
Michel Hansenne, lui, attend de voir si
ces désirs de changement perdureront dans le temps. “On a beaucoup
entendu parler de ces personnes qui se sont tournées vers les petits commerces,
ou qui se sont mises à faire du sport parce qu’elles avaient plus de temps.
Mais vont-elles continuer ces bonnes pratiques ? Ce n’est pas si évident”, dit
le professeur. Pourquoi en douter ?
Cette période particulière n’a duré que deux mois
et demi. C’est peu pour changer des habitudes ancrées depuis très longtemps.
Nous vivons quand même dans une société fortement basée sur la consommation de
biens, où le bien-être repose là-dessus.”
Non seulement le confinement n’a pas été
suffisamment long pour ancrer des changements profonds, mais il n’a pas été
radical. “Nous n’avons pas été confinés comme des moines
bouddhistes au sommet de leur montagne. Les technologies ont contribué à
maintenir le contact entre les gens, les magasins d’alimentation et les
magasins en ligne étaient ouverts. Les alternatives proposées ont permis de
maintenir certaines habitudes.”
Le monde d’après, tel que certains l’ont
imaginé, ne serait-il alors qu’une utopie ? “L’homme est un très
mauvais prédicteur de son avenir. Il va avoir tendance à surestimer l’ampleur
de certaines choses. Au début, l’inquiétude était forte, on a pensé que le
monde allait très mal, et que tout allait changer, car c’est la première fois
que l’on vit un tel événement. Mais cela sera vite oublié”, pense
le psychologue.
Michel Hansenne ne nie pourtant pas une
certaine évolution dans les mentalités. “Certaines personnes ont appris
de ce confinement. Ou ont pris conscience de certaines contraintes qu’elles ne
remarquaient pas avant”, dit le psychologue. Comme celle de faire du
sport alors que l’on n’aime pas cela, celle du repas familial du dimanche avec
un beau-papa pesant, celle des embouteillages. “Autant de contraintes
qui n’étaient pas dues à des choix personnels, mais qui venaient d’une pression
extérieure, et qu’il sera peut-être plus facile de lâcher sur le
long terme.”
Un déménagement en vue ?
Fabienne et Stéphanie vivent dans un
quartier fait de petites maisons encaquées les unes sur les autres. Un premier achat
fait à la taille de leur budget et de leurs envies. Un petit nid pour se lancer
dans la vie. Mais qui progressivement s’est révélé bruyant, avec une proximité
de voisinage pas toujours simple à vivre.
Confinées toutes les deux en télétravail
avec des voisins pour qui la crise a été l’occasion d’une longue série de
fiestas dans le jardin, les deux jeunes femmes ont fini par exploser. Dès
qu’elles le pourront, elles se mettront à chercher une autre maison. “Et
si possible la plus retirée possible dans la campagne, avec un jardin, et pas
de voisins directs”, soupire Stéphanie. Le confinement, pour
cette jeune femme, a accentué l’intolérance au bruit. À tel point que le retour
(partiel) au bureau a été une quasi-délivrance. “Même si on sait que
cette période n’était que temporaire, c’est décidé, on va changer. On prendra
le temps qu’il faudra pour trouver ce dont on rêve, mais on sautera le pas,
c’est une certitude”, dit-elle.
Sur le plan professionnel, la pandémie a
aussi suscité des bouleversements. Barbara, dentiste, a été marquée par
les nouvelles normes imposées par la crise sanitaire. Au point d’y voir une
perte de sens de son travail. “Le relationnel avec les patients, cela
représente 50 % du travail, dit-elle. Mais le métier a
fort changé. Le patient ne peut plus être accompagné, il n’y a plus de papote
avec l’accompagnant. Le patient s’assied, on soigne, on paye, on part. Et
après, il faut passer une demi-heure à tout désinfecter, et on recommence. Le
contact humain s’est réduit à néant.”
La crise, pourtant, ne devrait pas durer
éternellement… Mais Barbara n’est pas optimiste : “On va avoir de
plus en plus souvent ce genre de pandémie. Pendant le confinement, j’ai
beaucoup réfléchi sur ma vie. Je ne vais pas tout quitter comme cela, il y aura
un glissement.” Vers quoi ? “Toiletteuse pour animaux.
Je suivrai un stage.”
Un virage à 180 degrés. “Tout le
monde n’a pas eu l’opportunité de se remettre en question d’une telle façon, commente
Sylvie Raymakers, coach spécialisée en reconversion professionnelle, et
fondatrice de Tara C & C. Il
y a ceux qui ont pu prendre du recul pendant le confinement, et ceux qui
avaient le nez dans le guidon. Ceux qui ont pris du recul ressortent de là avec
certains enseignements. Ce qui ne veut pas pour autant dire qu’ils changeront
de job.”
22 % des employés veulent du changement
Une enquête publiée cette semaine par
[le site de recrutement] Stepstone annonce pourtant que 22 % des
employés interrogés envisagent de changer de travail, remettant en cause la
manière dont leur employeur a géré la pandémie. Pour Astrid, vendeuse dans
une boutique, c’est un facteur qui a joué dans son désir de changement. “Je
ne me suis pas trop sentie à l’aise avec la manière dont il a géré les choses.
Je me suis beaucoup investie pour soutenir les ventes du magasin à distance,
mais j’ai eu peu de retour.”
Vendeuse depuis douze ans, la jeune
femme n’avait, au départ, jamais pensé faire carrière dans le secteur, et
cumulait un second emploi comme indépendante complémentaire. À la maison
durant le confinement, elle a eu le temps de réfléchir à sa vie.
J’ai vu cette crise comme un signe, une
opportunité. J’ai commencé à faire du tri chez moi, j’ai enlevé tout ce qui
était superflu. Et mon job m’est apparu comme un boulet.”
Astrid en a aussi profité pour se
concentrer sur sa seconde activité, hair and make-up artist. Elle
avait créé Relook at Me, mais là aussi, le Covid-19 a mis un stop à son
activité. “Je faisais du maquillage pour les enfants, pour les
mariages, dans les events. Du coup, j’ai boosté mes réseaux
sociaux, je me suis lancée dans les tutos. Je voudrais continuer dans cette
voie-là, et trouver quelque chose de plus créatif à côté, en lien avec mon côté
artiste, pour garder quand même une sécurité financière.”
L’aspect financier est souvent
source de blocage dans les reconversions, et la crise actuelle n’a rien
amélioré. “J’ai beaucoup entendu, parmi les personnes qui m’ont
consultée, que celles qui envisageaient un nouveau départ étaient contentes de
ne pas s’être lancées. Et celles qui l’envisagent sont, face à la crise
économique, plus frileuses”, dit Sylvie Raymakers.
Beaucoup se rendent compte de la part de risque
qu’il y a à changer quand on vit une telle crise. Ils vont donc essayer de
trouver du sens dans ce qu’ils font, ou changer en interne, plutôt que de se
lancer dans un nouveau business.”
Et puis, il faut avoir les moyens
financiers, le temps et avoir la possibilité de se reformer. Le changement de
cap n’est pas à la portée de tous. “Bien se reconvertir ne se fait pas
du jour au lendemain, confirme Frédérique Génicot, consultante et
coach entrepreneur. Si on peut décider de révolutionner sa vie pendant
le confinement, concrétiser ses projets prendra du temps.”
“Il n’y a pas simplement le monde
d’avant, et le monde d’après, dit-elle. C’est
beaucoup plus compliqué que cela. Le confinement a sûrement permis à ceux qui
en avaient le temps de réfléchir, et se poser. Mais après, la crise économique
sera là aussi. Il faut donc être patient, doux avec soi-même, et
bien entouré.”
Beaucoup remiseront-ils leurs rêves, ou
les remettront-ils à plus tard, rattrapés par la réalité ? Justine, qui rêve de
diminuer son temps de travail, sait qu’avec son poste de manager cela restera
compliqué à négocier. Frédérique Génicot, elle, invite à l’optimisme. “Cette
crise crée de nouveaux besoins, et peut donc aussi être source d’opportunités à
saisir. Mais il faut rester prudent et bien se préparer. Changer de vie,
ce n’est pas nécessairement une solution au mal-être ressenti. Il ne faut pas
créer un problème dans l’espoir d’en résoudre un. C’est pour cela qu’il faut
réfléchir, et investiguer.”
Un conseil bon à prendre pour les
22 % de travailleurs interrogés par Stepstone, mais aussi pour Astrid,
Barbara, Justine, Fabienne ou Stéphanie.
Nathalie Bamps
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